Chapitre 24 : Vers de nouveaux horrizons

Ah ! San Myshuno !
Une ville à laquelle j'avais fini par m'habituer, et dans laquelle je ne me perdais plus. C'était vivant, lumineux, joyeux. Il y avait toujours beaucoup d'activité et une ambiance particulière. C'était sans nuls doutes un endroit idéal pour évoluer et grandir.

" Merci beaucoup de m'avoir ramenée à la maison, tonton Vivaan. Peut-être que tu pourrais dire à papa que je connais le chemin de la maison et que je peux rentrer toute seule, non ? J'adorer marcher avec toi, et je sais que c'est dangereux d'être toute seule en ville : et justement, je n'aime pas te savoir seul dans le métro pour venir me chercher à l'école. "

" La maîtresse dit que je suis très intelligente, alors peut-être que je peux rentrer seule ? "

Ludmilla, en chaire et en os. Une toute petite fille et déjà une très grande langue. Le portrait craché de son père au même âge, avec un peu plus de cheveux peut-être. Je trouvais personnellement qu'elle avait tout pris du côté paternel, sauf peut-être la couleur de peau.

" Euh... on en reparlera avec ton père, d'accord Ludy ?
- Bien-sûr, c'est d'ailleurs très gentil d'aider mon papa. Tu sais tonton Vivaan, il est tellement fatigué quand il rentre du travail ! Je me dis que tu dois être fatigué aussi et que tu dois avoir beaucoup d'autres choses à faire que d'aller me chercher à l'école. D'ailleurs, puisque papa est si fatigué, peut-être qu'on pourrait décider que je rentrer seule sans lui en parler ? Il est toujours très très inquiet, alors peut-être que...
- Ludy, écoute, tu demanderas à papa. D'accord ? Moi, je vais rentrer chez moi.
- Dis bonjour à Amandine ! D'ailleurs, on ne l'a pas vue depuis longtemps. Est-ce qu'elle va bien ? "

Ludmilla avait le don d'embobiner les adultes. Elle était vive, bavarde, intelligente.

" Rise ! C'est nul. "
Pourquoi est-ce que tu veux absolument rentrer toute seule ?
" Parce que ma copine Sarah, elle, elle rentre toute seule chez elle. Et elle a trois jours de moins que moi ! Elle est plus petite. "
Chérie, Sarah habite en face de l'école.
" Eh bah c'est nul quand même ! "
Ce qui serait nul, ce serait que quelqu'un t'entende parler toute seule , tu ne crois pas.

" Oh, c'est vrai. Pardon. Je n'aimerais pas qu'on pense que j'ai encore un ami imaginaire, je suis trop grande pour ça ! Tu sais, je crois que je suis presque une adulte déjà. Je suis très mature et résponsable pour mon âge, c'est la maîtresse qui l'a dit ! "
C'est vrai.
" Alors ! Rise, pourquoi est-ce que je ne peux pas rentrer toute seule de l'école ? "
On en reparlera quand tu seras au collège.
" Quoi ? Mais c'est dans trop longtemps ! "
Tu vois ? Tu es encore une petite fille, Ludmilla.

Une boule d'énergie, cette enfant. Elton ne voulait pas qu'elle rentre seule parce qu'il était persuadé qu'elle s'attirerait des ennuis - j'étais tout à fait d'accord, cette petite parlait à tout et tout le monde.

" Wouah ! Monsieur la statue, vous êtes trop cool ! J'ai trop envie d'être comme vous, ça a vraiment l'air d'être trop trop cool ! "
Tu sais, quand elle était jeune, ta grand-mère jouait la statue vivante.
" C'est vrai ? C'est trop cool ! Je veux être comme mamie, c'est trop cool ! "

Ce qui serait vraiment trop cool, Ludy, c'est que tu rentres à la maison. La dame te regarde bizarrement depuis tout à l'heure.
" Avec papa, vous vous inquiétez toujours trop ! "
Allez jeune fille, à la maison.
" D'accord, d'accord... "

" C'est nul, Rise. J'aime pas être toute seule à la maison, je m'ennuie. "
Je sais. Papa va bientôt rentrer, tu sais.
" Je sais que c'est pas vrai, il est quinze heures et demi seulement. Tu sais, la maîtresse a voulu apprendre l'heure aux grands de huit ans et comme j'avais déjà fini tous les excercices depuis vingt minutes, elle m'a laissé apprendre avec eux. Je t'ai dis qu'elle voulait me faire sauter une classe ? La maîtresse dit que je suis trop mature pour être avec les enfants de mon âge et que je devrais être avec les grands de huit ans. "

Vous l'auriez deviné : Ludmilla était un génie. Un génie qui aspirait à parler à tout le monde - vraiment tout le monde.

Les choses avaient beaucoup changé depuis le départ de Paris. Elton avait eu un petit coup de déprime, puis il s'était réveillé. Ludmilla avait été moins stressée et s'était particulièrement épanouie. J'avais quant à mois refait la pièce principale, pour un peu de changement.

" Je crois qu'elle va appeller papa pour dire que je dois sauter une classe ! Tu sais, il y a un garçon, il s'appelle Yann je crois, qui ne sait pas faire les additions avec deux chiffres. Il est vraiment nul ! Moi j'arrive déjà à faire des multiplications. Des petites, certes, mais quand même ! Une grande a promis de me montrer comment on fait les divisions, parce qu'elle a un frère qui est au collège. Je me demande si je pourrais déjà être au collège, mais je ne pense quand même pas. La maîtresse, elle dit que je suis très forte en maths ! Je fais des calculs de tête très vite : je suis sûre que c'est parce que j'ai l'habitude de te parler dans ma tête. "
Tu me parles souvent à voix haute. Tu parles souvent à voix haute, d'ailleurs.
" Oui, la maîtresse dit que c'est parce que je suis très intelligente et que donc je n'arrive pas à réfléchir dans ma tête, parce que je pense à trop de choses. Et puis il n'y a toujours que papa et moi ici, alors c'est pas grave ! "

Il fallait avouer que Ludmilla était différente des petites filles de son âge, de son père et de sa grand-mère. Ses professeurs pensaient qu'elle était surdouée, mais Elton avait refusé de faire des tests car il éstimait ça trop stressant. Ludy pensait beaucoup, et elle parlait beaucoup.
Elle m'épuisait. Peut-être parlait-elle aussi beaucoup parce qu'elle était souvent seule, et que ça lui permettait d'occuper l'espace.

" J'adore le gâteau au chocolat, je crois que c'est mon gâteau préféré ! Oh, Rise, c'est quoi ce film ? C'est encore une cassette de mamie ? Je déteste les films en noir et blanc, c'est très ennuyant. J'ai déjà dis à papa que laisser les cassettes dans le lecteur les habimaient, mais tu connais papa, il n'écoute jamais ! "

La petite avait aussi gardé son ours en peluche comme meilleur ami, et j'avais heureusement un petit moment de répis lorsqu'elle jouait avec. Non pas que je n'aimais pas Ludmilla : je m'étais plus occupée d'elle que d'Elton et nous avions tissés des liens forts. Elle était simplement très... active.

Ludy avait récupéré la chambre d'Alice, avec quelques modifications : la petite pièce du fond avait été coupée du reste dans le but d'en faire une future salle de bain - après quelques rentrées d'argent. J'étais tout particulièrement fière de la décoration de la chambre, qui allait très bien à Ludmilla.

" Tu sais, la maîtresse m'a donnée des devoirs en plus : c'est au cas où je saute une classe l'année prochaine, pour que je saches autant de choses que les autres. Tu crois que papa va bien vouloir que je saute une classe, dis ? Papa est toujours très inquiét. Il est trop protecteur ! Est-ce que mamie et papi étaient comme ça eux aussi ? "
Pas vraiment. Ta grand-mère laissait beaucoup d'indépendance à ton père et ton grand-père laissait faire. C'était moi... moi qui était stricte, je crois. Enfin : un peu, comme maintenant, je suppose.
" Je trouve que ça va, moi. Je trouve que tu es cool. "

Eh bien ; peut-être que tu devrais aller dormir, maintenant.
" Quoi ? Mais papa va bientôt rentrer ! Je veux voir papa, moi, Rise ! "
Tu veux surtout jouer encore un peu, petite coquine.
" Oui, bon, peut-être. Mais papa me manque tellement, lui aussi, tu sais ! "
Je ne suis pas née de la dernièr epluie, Ludy : au lit.

Ah, Alice ! Tu étais plus douée que moi avec les enfants ; ça, c'était sûr.
Le départ d'Alice m'avait beaucoup affectée. Comme Elton, j'avais eu besoin de temps pour m'en remettre, et je sentais comme un vide. Ce legacy avait avant tout été notre défi, à toutes les deux. Il avait perdu un peu de sens depuis sa mort.

" Bonjour, Rise. "
Elton ! Je suis désolée de ne pas t'avoir attendu hier, j'étais fatigué.
" Ne t'inquiète pas, je sais que veiller sur Ludmilla n'est pas facile. "

" Peut-être qu'on devrait songer à prendre une nounou ? Darsh ne peut pas être là tous les jours pour la garder, et c'est sans doutes compliqué pour toi... "
Ce serait une mauvaise idée : elle ne l'accepterait pas et serait difficile. De plus... Elton, tu n'as pas les moyens de payer une nounou. Ta fille est très active mais elle est résponsable. C'est fatiguant, mais j'aime m'occuper d'elle. Je peux gérer, ne t'inquiètes pas pour moi. "
Comme tu le sens, Rise.

" Bonjour vous deux !
- Mais qui est cette belle petite fille ? Bonjour, mon bébé.
- Papa, je ne suis pas un bébé... "
Bonjour, Ludy. Est-ce que tu as bien dormi ?
" Oui, à merveille Rise ! Et vous, bien dormis ? J'ai rêvé que l'armure du salon était ton mari, cette nuit. "
M-mon mari ? Mon dieu, Ludy... tu as trop d'imagination.

" Papa, je crois que tu es trop stressé en ce moment. J'aimerais que tu sois moins inquiet !
- Ah bon ? Et comment est-ce que je pourrais, à ton avis ?
- Eh bien plutôt que de toujours chercher à organiser tes amis pour qu'ils viennent me chercher à l'école, tu pourrais me faire confiance et...
- Ludmilla Artson ! Nous en avons déjà parlé. "

" Vous êtes vraiment pas drôle.
- Parce que Rise a dit non elle aussi, et que tu me demandes quand même ? Tu sais que si Rise dit non, c'est non ! Tu ne dois pas aller me voir lorsqu'elle refuse quelque chose, et tu ne dois pas aller  la voir quand moi je refuse. On doit être d'accord tous les deux... "
Ta fille es futée, Elton...

" Mon dieu... tu es sûre d'arriver à gérer ? "
Est-ce que ce n'est pas plutôt toi qui fatigues, Elton ?
" Ah... je ne sais pas. Très honnêtement, il m'arrive de désespérer. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. "
Oh, ça, je sais.

" En tout cas, je ne suis pas fâché d'avoir quelques jours de congé. Je devrais bientôt être considéré comme un vrai musicien, mais en attendant, ce boulot m'épuise presque autant que ma fille ! "
Tu vas pouvoir en profiter pour de détendre un peu.
" Oui. Il faut que je m'excerce à la guitare... "

Je trouvais folle la ressemblance qu'il avait alors avec sa mère me laissait pantoise. C'était émouvant de voir ce même instrument entre leurs mains.

" Il faut avouer que je me suis singulièrement amélioré. "
Oui, tu es devenu doué Chéri.

Quelle fut ma surprise en voyant que nous avions une visite innatendue. Enfin, nous ; lui. C'était bien Elton, lui et lui seul, qu'elle venait voir.

Dis donc, Elton ; je croyais que vous aviez parlés et que vous ne deviez plus refaire ce genre de choses ?
" Je... j'en sais rien, Rise. Je ne savais pas qu'elle venait. "

" Je te dérange ? Tu ne répondais pas et j'ai entendu que tu jouais, alors je me suis permis d'entrer.
- Oh, ce n'est pas un problème. Tu sais que j'aime quand tu es ici, Darsh...
- J'ai bien pensé à t'envoyer un message mais le temps que tu répondes nous n'aurions pas eu beaucoup de temps, alors... "

" D-Darsh...
- Tu ne veux pas ?
- Tu sais bien que si, enfin ! Mais Ludmilla va bientôt rentrer, je ne veux pas qu'elle... enfin, tu sais...
- On a le temps, Elton. Je ne t'ai pas vu depuis une semaine, tu... ça me manque, d'accord ? J'en ai très envie. Alors peut-être qu'on pourrait se taire et profiter du temps que nous avons devant nous ? "

" C'est... oui, d'accord. C'est d'accord.
- Alors enlève ce t-shirt, tu veux ? "

Que d'incompréhension doit pouvoir causer cette scène.
Non, Elton et Darsh n'étaient pas ensemble. Elton avait refusé toute relation depuis le départ de Paris - c'était certain qu'il ne se sentait pas prêt à se lancer. Darsh avait beaucoup aidé dans l'éducation de Ludmilla, la gardant dès qu'elle le pouvait. De fil en aiguille, il y avait eu quelques... débordements. Il arrivait régulièrement, depuis, qu'ils se laissent aller à quelques plaisirs ensemble.

" Ah, bonjour ! Oh, Darsh, tu es là ! C'est super cool, parce que j'ai vraiment beaucoup de choses à raconter ! La maîtresse a parlé au proviseur pour savoir si je pouvias sauter une classe l'année prochaine ! "

Bien-sûr, Ludmilla n'était au courant de rien.

Pour tout dire, nous formions une drôle de petite famille : Elton qui tâchait d'élever sa fille, moi - une figure maternelle invisible et immortelle et Darsh - une autre figure maternelle peu présente et seulement présentée comme une amie de la famille, mais qui elle avait une relation avec le père.

Je me demandais souvent comment Ludmilla réagirait s'il y avait quelque chose de plus officiel entre eux : on ne pouvait pas manquer qu'ils se dévoraient des yeux, et je soupçonnais Darsh de toujours nourir à l'égard d'Elton les mêmes sentiments que pendant leur adolescence...

" Darsh, tu manges avec nous ?
- Oh s'il te plaît, dis oui ! Papa fait vraiment très mal à manger et il ne reste plus rien des plats que tu nous a apporté la dernière fois. Hier, il a confondu le sucre et le sel en assayant de faire des pancakes. Je t'en supplie, mange avec nous et fais à manger !
- Ludy, ça ne se fait pas de demander... "

" Oh, ça ne me gêne pas ! Puisque je suis invitée, autant que je cuisine : c'est vrai que ce n'est pas tellement ton domaine, Elton...
- Je ne suis pas si mauvais.
- Pour ça, si ! Je vais éviter que tu nous empoisonne. Ludy, tu veux m'aider à couper les légumes ?
- Oh oui, carrément ! Trop cool ! "